Interview (Guinée-Conakry 2012)
Ce monsieur négociant en pierres m’accueille dans son bureau situé dans une rue discrète du quartier de Kaloum, assis devant une table où trônent des cristaux de quartz et des balances à carat. Notre entretien sera rythmé par les allées et venues des prospecteurs lui présentant leurs diamants.
Un négociant en Guinée
Votre bureau se trouve à Conakry mais êtes-vous natif de cette ville ?
Non, je viens de Mafara où j’ai fait construire un collège en 2005 pour aider au développement de ce village.
Travaillez-vous uniquement dans le secteur du diamant ?
Je vends principalement de l’or et des diamants mais je propose aussi quelques pierres de couleur telles que saphirs, rubis, citrines, améthystes et tourmalines ; pierres achetées principalement par les Chinois et les Indiens, notamment les améthystes.
Vendez-vous les pierres brutes ou taillées ?
Essentiellement des cristaux bruts.
Beaucoup de gens proposent des diamants dans les rues de ce quartier : ont-ils le même statut que vous ?
Ces gens vendent sans agrément : légalement, ils ne détiennent pas la licence qui leur permettrait de pratiquer ce commerce contrairement à moi qui suis le président d’une société agréée.
Pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste une telle société ?
Des paysans louent des parcelles à l’État : on les appelle les «coutumiers». Nous, nous achetons ces parcelles aux coutumiers et à l’État.
Dans quelles régions se trouvent les parcelles ?
Un peu partout : à Kindia, Forécariah, Macenta, Kissigoudou, Kérouané, Banankoro…
Trouve-t-on encore de gros diamants en Guinée ?
Bien que rarement, il arrive que nous extrayions des pierres pesant jusqu’à 200 carats avant la taille… En général, nous sortons des diamants de 0,05 à 5 carats.
Diamants incolores ou de couleur ?
Les deux mais le plus souvent incolores… Par exemple, dans la région de Kindia on peut aussi extraire des diamants de couleur : vert, brun chocolat, miel…
Comment votre société gère-t-elle ses parcelles ?
Six employés travaillent sur une parcelle. Cinq creusent : les creuseurs ou mineurs. La sixième personne supervise l’ensemble de la mine : les achats pour les repas cuisinés par les femmes du village, la surveillance à l’étape du tamisage pour éviter les vols…
Cette personne possède-t-elle des compétences particulières ?
Bien sûr : elle reconnaît le diamant en le voyant grâce à sa longue expérience. Elle saura aussi estimer sa valeur. Chef et délégué du groupe, on le nomme «officier».
Les mineurs reçoivent-ils un salaire fixe ?
Non, ils perçoivent un pourcentage au moment de la vente de la pierre extraite de la parcelle.
Pouvez-vous me décrire la procédure suivie quand un mineur trouve un diamant ?
Le lavage de la terre, du gravier peut parfois demander jusqu’à un mois de travail… Dès qu’un creuseur trouve une pierre, le groupe la déclare au président : un mineur, accompagné de l’officier, vient me présenter le diamant. Si nous tombons d’accord sur l’estimation de sa valeur, je prends 50 % du prix. L’autre moitié revient aux cinq creuseurs et au surveillant. En cas de désaccord, le mineur et le délégué vont essayer de vendre la pierre aux bureaux des comptoirs d’achats légaux où je vends moi-même mes pierres.
Qui tient ces comptoirs ?
Des gens de tous les horizons : Juifs, Indiens, Libanais, Chinois, Russes, Belges, Anglais…
Dans le cas où le personnel de la parcelle traite avec un de ces comptoirs, quel pourcentage vous doit-il ?
Toujours 50 %.
Un particulier peut-il devenir client de votre société ?
Certainement. Il me paie la pierre ; ensuite il devra s’acquitter de 3 % de taxes à la BNE, le Bureau National de l’Expertise. S’il achète de l’or, la taxe sera plus basse.
Vous déplacez-vous dans les autres pays producteurs ?
Je me rends parfois en Sierra Leone. Quand les prospecteurs de ce pays trouvent des diamants qui pourraient m’intéresser, ils m’invitent à venir les voir… Je peux aussi aller jusqu’à Séguéla en Côte d’Ivoire…
Propos recueillis en Guinée-Conakry par Clémence Jude